Les mutins de Clairvaux refusent d'être jugés sans
enquête

LE MONDE | 10.03.04 | 13h39
Les prévenus ont claqué la porte du tribunal après une
audience mouvementée.

Troyes (aube) de notre envoyé spécial

Les magistrats du tribunal correctionnel de Troyes ont
pu vérifier à leurs dépens, mardi 9  mars, qu'on ne
juge pas les mutins de la prison de Clairvaux comme de
simples délinquants. Ajourné une première fois en
décembre  2003, le procès de douze détenus soupçonnés
d'avoir pris un surveillant en otage et incendié les
ateliers de la maison centrale, le 16  avril 2003, a
dû être à nouveau suspendu au terme d'une première
journée d'audience très mouvementée. Après avoir
essuyé une série d'invectives et de huées, le tribunal
a dû se résoudre à interrompre les débats pendant
quinze jours, à la suite du départ fracassant de onze
des douze prévenus, sous les acclamations d'une partie
du public. Les mutins de Clairvaux ont en effet refusé
d'assister à leur procès tant qu'une instruction
judiciaire n'était pas ouverte sur les faits qui leur
sont reprochés.

Dans la salle bondée, la tension était perceptible dès
l'entrée des prisonniers, salués debout, parfois bras
levés et poings fermés, par une cinquantaine de jeunes
issus de la mouvance libertaire, venus d'Ile-de-France
ou de Bretagne. CRS, gendarmes mobiles et policiers
tentent de maintenir un calme relatif, vite troublé
par les premières objections de Pascal Brozoni, 43
ans, soupçonné d'être l'auteur de la prise d'otages.
"Non, monsieur, lui répond le président, Dominique
Ferrière. Je ne lis pas des conneries comme vous
dites, je vous donne connaissance des actes qui vous
sont reprochés, pas de ce que le tribunal tient pour
exact."

Les douze prévenus, âgés de 24 à 44  ans et déjà
condamnés à des peines allant de 3 à 30  ans de
prison, ont été identifiés par les gardiens comme les
meneurs de la mutinerie du 16  avril 2003. Ce jour-là,
une soixantaine de détenus avaient incendié les
ateliers de fabrication de chaussures de Clairvaux,
après avoir volé les clés d'un surveillant sous la
menace d'un cutter. Tous contestent les conditions
dans lesquelles il ont été renvoyés devant le
tribunal, par citation directe du parquet, sans
instruction judiciaire, sans confrontations ni preuves
matérielles. "Si les détenus n'étaient pas considérés
comme des citoyens de second ordre, personne n'aurait
songé à les juger de cette façon", proteste l'un de
leurs avocats, Me  Thierry Lévy, pour qui la violence
des détenus "n'a pas surgi du néant".

"LE CONTEXTE ABSENT"

L'incendie des ateliers a éclaté quelques jours après
la fermeture stricte des cellules, ordonnée par le
garde des sceaux, Dominique Perben, à la suite d'une
première mutinerie à Clairvaux, le 18  février 2003,
et une semaine après une tentative d'évasion de la
centrale de Moulins (Allier). A la tolérance qui
permettait aux longues peines de circuler librement
entre les cellules se sont alors substitués "un refus
brutal et une répression sévère", critique Me  Lévy.

Le président du tribunal le concède  : "C'est vrai, le
contexte dans lequel les faits ont pu survenir est un
peu trop absent du dossier." C'est pourquoi il propose
aux détenus d'aborder d'abord la question de leurs
conditions de détention, avant de s'expliquer ensuite
sur la mutinerie. "Si des points ne sont pas établis,
ils feront l'objet d'une relaxe  ; si d'autres
nécessitent des éclaircissements, je me chargerai
personnellement d'un supplément d'information", leur
assure-t-il en vain.

"Tout ça ne sert à rien, réplique Pascal Brozoni. Moi,
je n'ai aucune confiance dans la justice. Après, c'est
nous qui payons. S'il n'y a pas d'instruction, on s'en
va  !" Les détenus se lèvent alors un par un, tandis
qu'une partie de la salle apostrophe les magistrats
sous les quolibets et les traitent de "tocards" et
d'"incompétents". Après une troisième suspension de
séance, le juge a fixé au 29  mars la reprise de
l'audience, le temps pour les avocats de demander à
leurs clients, déjà repartis en fourgons cellulaires,
s'ils souhaitent ou non être défendus en leur absence.
Une heure plus tard, c'est finalement tout le
personnel du tribunal qui a dû quitter le palais de
justice en raison d'une alerte à la bombe.

Alexandre Garcia