ON N'EST PAS VENU EN PRISON POUR TRAVAILLER !
ou pourquoi j'ai
brûlé les ateliers de la prison de Clairvaux.
Tout
d'abord, et sans doute aux regrets de certains, ce qui s'est passé
le
16 avril 2003 à la prison centrale de Clairvaux n'était
pas une mutinerie,
même pas le matin du grand soir.. Ni
préméditation, ni concertation, ni
organisation. Un
mobile ? Bah. c'est simple, c'est quand même une
satisfaction
de voir une prison qui. Et puis, il n'y a pas de hasard : l'
attitude
de Danet (le directeur de la centrale) et de toute la clique de
la
direction n'avait que trop duré, il fallait un retour à
l'envoyeur plutôt
explicite !
Danet, t'as joué, t'as perdu ! Tu rejoues ?
La direction avait, par exemple, récemment changé
le règlement des heures d'
entrée des proches au
parloir, sans prévenir les prisonniers autrement que
par
une pauvre affiche à laquelle personne n'avait fait attention.
Ce qui
devait arriver arriva : des refus de parloir pour des
familles qui se tapent
des milliers de bornes pour venir au
parloir et dont les dix malheureuses
minutes de retard à
l'entrée leur ont été fatales. Ils ne manquent
ni de
figure, ni de lâcheté ceux qui refusent à
une famille un parloir ! Suite à
la protestation des
détenus, dès le lendemain, la direction faisait
remettre
aux prisonniers un papier les informant du changement de
règlement
intervenu. Mais le détenu et sa famille
avaient été fait marrons, alors
faute avouée
n'est pas pardonnée !
Pendant ce temps-là, et sous
le prétexte fallacieux de la mutinerie du
bâtiment A
de février 2003, les parloirs n'étaient plus chauffés,
ni
nettoyés. nous obligeant donc à recevoir nos
proches dans des conditions
vraiment. Bon, pas besoin de dessin
!
Et la détention ? Encore cette même arrogance de la
direction ! Par exemple,
cela faisait trois ans que les détenus
se plaignaient qu'il n'y ait qu'une
cabine téléphonique
pour 90 détenus, que deux machines à laver
(forcément
régulièrement hors service) pour
150 détenus, ou que les prix des cantines
extérieures
soient plutôt fantaisistes. A chaque motif de mécontentement,
la
direction a toujours répondu par la politique de
l'autruche. Bref, au
silence et à la lâcheté
de ces drôles d'oiseaux, fallait bien finir par
répondre
!
Mille motifs donc d'en avoir marre d'être pris pour des
cons, alors le 16
avril 2003, j'ai présenté
l'addition : l'incendie des ateliers. Paraît qu'y
en a pour
plus de 4 millions d'euros. J'ai été, avec douze autres
détenus
innocents immédiatement transféré.
Direction les mitards de maisons d'arrêt
de la région
parisienne (Fleury, Osny, Fresnes, Bois d'Arcy) ou de l'Est
(Varennes
le Grand, Besançon). D'autres ont été placés
au mitard de
Clairvaux (en moyenne un mois), puis au Quartier
d'isolement, avant leur
transfert à Fresnes. Tout ce beau
monde a été ensuite affecté dans une
nouvelle
centrale vers le début septembre.
Rien n'a été donné, tout a été
pris. Et tout reste à prendre !
Suite à c'te belle journée, ou plutôt à
cet incendie, forcément, plus de
travail pour les détenus,
et puis, comme ose l'écrire un détenu dans l'
Envolée
: « l'ambiance n'y était plus. Ils ont recadré la
centrale comme un
QHS. c'est pas convaincant, c'est du n'importe
quoi. ». Elle est belle l'
histoire !
Bon, autant que ce
soit clair, on n'est pas venu en prison pour l'ambiance,
et quant
à ceux qui se plaignent de ne plus avoir eu de travail par
la
suite, alors là, ajoutons qu'on n'est pas non plus là
pour le travail ! Sans
blague !
On s'en bat les . du travail !
On est en taule, et certains veulent entrer
dans le jeu de la
pénitentiaire et de la justice : être sages, payer
leur
dette et tout irait pour le mieux ? Faut arrêter !
Aucun compromis n'est
possible, et même ceux qui collaborent
(on a vu les dépositions, hé hé !)
sont bien
mal payés en retour. ! Comprend qui peut. Plutôt que de
penser au
boulot, faudrait plutôt se battre (ou au moins
soutenir ceux qui se battent
!) pour que la justice respecte ses
propres lois, notamment : mi peine, mi
grâce. pour
tous.
Dans toutes les luttes en prison, que ce soit celle pour les
parloirs «
libres » (de quoi, d'ailleurs ?), la télé,
l'accès au téléphone, . pour
chaque
amélioration des conditions de vie en détention et des
aménagements
dont nos proches ont profité, pour tout
cela, il y a eu des morts, et aussi
des années de zonzon
distribuées à la minorité qui osait
combattre.
Les acquis des mutineries, des mouvements collectifs.
de 74 ou du début des
années 80 sont aujourd'hui
remis en cause et personne ne se battra à notre
place, et
surtout pas ceux qui s'autoproclament les représentants
des
détenus et de leurs proches. Rien n'a été
donné, tout a été pris. Et tout
reste à
prendre !
Pour en revenir aux conséquences judiciaires
du 16 avril 2003, il faut d'
abord dire qu'il n'y a pas eu
d'instruction : c'est à dire que les gendarmes
sont venus
nous interroger entre la mi-juin et le début juillet, mais
que
personne n'a vu de juge d'instruction. C'est en recevant, à
l'extrême limite
des dix jours légaux, la convocation
à l'audience du 15 décembre que nous
avons chacun
découvert nos chefs d'inculpation. D'ailleurs, autant dire
que
là-dessus ils ne se sont pas foulé. à un
chouia près, c'est les mêmes pour
tous.
Pour vous
dire combien ces inculpations sont bidons en ce qui concerne
mes
coinculpés, c'est que l'un d'entre eux avait continué
d'aller travailler aux
ateliers de Clairvaux, il avait même
été nommé par la suite à
d'autres
fonctions. jusqu'à ce qu'on lui fasse payer sa
participation à un mouvement
de protestation en novembre
dernier par une inculpation dans cette affaire.
Ça manque
pas de culot ! Affreux !
Alors, le 15 décembre dernier,
on est tous passé en audience, et on a
réussit à
faire reporter le procès au 9 mars. N'empêche que
c'était une
belle mascarade. Alors, le 9 mars, on remet ça
! Je dirais à Danet et à ses
acolytes, au Proc', au
juge, à ceux qui veulent bien l'entendre. tout ce que
je
dis là, et si je ne me cache pas des raisons pour lesquelles
j'ai foutu
le feu, qu'au moins la Pénitentiaire ait aussi à
répondre de ses actes.
N'en déplaise à la
direction de Clairvaux, qui considère que des jours de
mitard,
des mois de remises de peine sucrés, des transferts qui
éloignent
les familles. que tout cela sont de simples «
éclaboussures ». Je n'
accepterais pas ces «
éclaboussures », je n'accepterais pas que des
innocents
prennent des années.
Alors, autant que je demande à
être jugé aux assises : après l'instruction,
au
lieu d'être une dizaine à la barre, je serais tout seul.
cela ne serait
que mieux, j'aime avoir mes aises !
J'assume ce
que j'ai fait, mieux, je revendique. Ça perturbera
certains,
toujours prêts à aboyer, à vouloir
être responsable, mais jamais coupable.
Alors oui,
responsable, coupable et fier de mes actes.
En espérant que
le message ait été clair : les demandes de transfert
des
détenus doivent être traitées vite fait,
bien fait ! il est hors de question
qu'on reste à pourrir
dans une taule quand ça fait des mois qu'on veut
partir. Et
que la Pénitentiaire respecte nos familles.
J'en
profite pour saluer chaleureusement ceux qui étaient présents
à l'
audience du 15 décembre dernier et/ou qui
viendront le 9 mars prochain pour
marquer leur solidarité
avec les innocents inculpés et avec moi-même, et d'
une
façon générale avec les luttes des prisonniers
et leurs familles.
Pascal BROZZONI,
Centrale de Moulins,
février 2004.