Parloirs menacés à la centrale de Moulins
Pour avoir contesté la multiplication des contrôles, des familles pourraient perdre leur droit de visite.
Par Eric MOINE

samedi 17 janvier 2004

Moulins correspondance

Pour s'insurger contre la multiplication des fouilles auxquelles ils étaient soumis, une trentaine de proches de détenus de la centrale de Moulins avaient refusé de quitter le parloir durant trois quarts d'heure (Libération du 5 janvier). Huit jours plus tard, c'est le retour de bâton. La direction a écrit en recommandé à une quinzaine de familles : «Vous avez contesté les mesures de contrôle [...] Je crois devoir vous informer que le renouvellement d'un tel comportement me conduirait à envisager la suspension de votre permis de visite.» Nouveau coup de sang des familles : «Nous n'avons pas contesté les contrôles mais leur forme, constate l'épouse d'un condamné à perpétuité. Les brigades volantes pour inspecter les voitures, le même comité d'accueil sur le parking avec la mitraillette, puis, en plus des habituels portiques et rayons X, le chien détecteur de stups et d'explosifs qui piétine et bave sur nos vêtements. S'ils veulent mettre le feu à la prison, il n'y a pas mieux.»

«Profils dangereux». «Il n'y a aucune volonté d'atteinte à la dignité des détenus ou de leurs familles», réfute Georges Boyer, adjoint à la direction régionale à Lyon, soulignant que, pour une centrale de 126 places, il y a 989 permis de visite. Mais il confirme que la concentration de «détenus dangereux» à Moulins est un choix : «Alors, à profils dangereux, mesures de sécurité adaptées.» C'est d'ailleurs à Moulins qu'au printemps, le garde des Sceaux a ordonné de fermer les cellules en permanence. Jusqu'ici tolérée, l'ouverture des portes permettait un minimum d'échanges et de discussions entre détenus.

Plusieurs familles ont alerté leurs avocats. «Mais la pénitentiaire ne s'assoit pas sur le code pénal, elle trône dessus, s'indigne Me Jean-Marc Darrigade. La sécurité a bon dos. Ça ressemble plus à une volonté d'humiliation.»

Me Philippe Pétillault s'agace aussi : «Le mardi suivant, en entrant dans la salle où devaient siéger les juges de l'application des peines, je suis tombé nez à nez avec une équipe d'Eris (1). A une demi-douzaine, ils se sont dépêchés de se cagouler et de prendre leurs flashballs. Je suis persuadé qu'ils sont en permanence à Moulins et que cette salle est leur QG. La fermeture des portes, les Eris et maintenant la pression sur les familles. Tout ça crée un climat insupportable. On fait tout pour briser les détenus et qu'ils sortent comme des légumes.»

«Lien fragile». François Carlier, de l'Observatoire international des prisons, a également été alerté : «Moulins-Yzeure devient une vitrine des difficultés que pose la politique gouvernementale. Après la fermeture des portes, qui empêche d'entretenir un semblant de lien social, on touche au lien familial. Or il est aussi essentiel que fragile. Si, après des centaines de kilomètres, vous avez quatre barrages et une demi-heure de fouilles, vous avez beau aimer votre frère, votre père ou votre mari, vous viendrez moins. Et puis plus du tout.» Jeudi, pour protester contre les «menaces» de la direction, les détenus ont, pendant deux heures, refusé de regagner leurs cellules.

(1) Créées par Perben, les équipes régionales d'intervention et de sécurité sont composées de surveillants «anonymes» et chargées d'intervenir en cas d'incidents en prison.