Encore de la prison pour les mutins de Moulins
Le ras-le-bol des prisonniers qui s'étaient révoltés n'a pas été entendu par les juges.

Par Eric MOINE
vendredi 19 décembre 2003
Moulins (Allier) correspondance

eur prise d'otages du 24 novembre dans les ateliers de la prison de Moulins-Yzeure a abouti hier au tribunal correctionnel de Moulins. André Allaix, 27 ans, Cyrille Bastard, 28 ans, et Jean-Jacques Cauhoy, 48 ans, sont prévenus de séquestration de trois surveillants et d'un formateur, de violence pour un coup de cutter accidentel, et d'avoir fait mine de vouloir mettre le feu :

Mépris. «Le feu, j'y avais d'abord pensé pour moi, assure Bastard,. M'asperger d'alcool à brûler et m'immoler. Deux choses m'ont retenu. La pensée de mon fils de 6 ans. Et la phrase d'un gardien qui m'a dit un jour :"Chez nous, dix suicidés valent mieux qu'un évadé ." On voulait faire un truc pour se faire entendre, c'est tout. Cauhoy n'a rien à faire là, il avait mal au ventre, ça nous a fait penser qu'on pourrait faire venir grâce à ça des surveillants pour les retenir.»

Les otages ont été relâchés au bout de huit heures, avec la trentaine de détenus restés passifs tout au long de la journée : «On a arrêté, explique Allaix, quand le GIGN nous a demandé si ce ne serait pas mieux de discuter autour d'une table. Ça fait des mois que c'est ce que je demande. Mais comme d'habitude, le dialogue s'est transformé en monologue et les mots en coups. Je n'en peux plus de cette prison, tous on n'en peut plus. Mais personne ne veut nous entendre.»

André Allaix, dix ans pour des braquages, a deux ans de Moulins derrière lui : «Le premier jour, j'ai demandé le transfert en centre de détention. On m'a répondu qu'il fallait au moins un an. Là, ça fait deux, et puis rien. Pourtant, j'ai fait tout ce qu'on m'a demandé. Les cours, la formation, le suivi psy. J'ai même été l'un des premiers volontaires pour le prélèvement d'ADN cet été (1). A quoi ça sert tout ça ?»

Bastard, trente ans pour meurtre avec actes de torture, a «pété un plomb» lui aussi, parce que «les conditions de détention à Moulins sont inacceptables, inhumaines. Dès qu'on ouvre la bouche, c'est le mitard. Et le mitard, c'est pas qu'une cellule sans télé. C'est le passage à tabac. On n'a aucune intimité dans les parloirs. Mon petit garçon reste là sans bouger, sur place. Les gosses sont curieux et ils voient des couples qui ont besoin de se retrouver...»

Refus. Pour Me Dominique-Jean Lardans, conseil des otages : «Rien dans ces revendications personnelles ne justifiait de tels actes.» L'autre otage du jour pour le procureur Thierry Pocquet du Haut Jussé, c'est le système pénitentiaire : «Cette centrale est un des cinq établissements sécuritaires de France. Mais si on y arrive, ce n'est pas par hasard. Evidemment, c'est facile, lorsque l'on dit que tout le monde est méchant, ça évite une remise en cause de soi-même...» Il a réclamé quatre ans pour Bastard et Allaix, six mois à un an pour Cauhoy.

Moulins-Yzeure a gagné son surnom d'Alcatraz français quant la centrale a rouvert en 1998 après la mutinerie de 1992 qui avait détruit l'établissement. Pour Mes Jean-Louis Deschamps et Jean-François Canis, avocats des prévenus, la centrale a gagné le pompon depuis qu'elle a été la première à fermer les portes des cellules toute la journée : «Arrêtons l'hypocrisie. On vit dans un système répressif, sur la route comme en centrale. Mais là, évidemment, ça intéresse moins de monde. Un criminel, ça ne vote pas. Nous savons tous que nous sommes au bord de l'explosion dans les centrales. Mais où allons-nous ?» Hier soir, Allaix et Bastard ont été condamnés à quatre ans ferme et Cauhoy à six mois.

(1) Pour le fichier des délinquants et criminels sexuels.