Quatre ans de prison pour les deux meneurs de la mutinerie de Moulins

LE MONDE | 19.12.03

Ils avaient tenté "une action d'éclat" contre leurs conditions de détention.

Moulins (Allier) de notre envoyée spéciale

Il était un peu plus de 10 heures, le 24 novembre, quand quatre détenus lui ont dit : "Dédé, qu'est-ce que tu fais ? On va tous crever !" A l'aide de cutters et de ciseaux à bois, André Allaix retenait alors cinq surveillants de la centrale de Moulins-Yseure. Dans l'atelier de marqueterie, la prise d'otages s'installait pour durer jusqu'au soir, et Dédé assurait que tout irait bien. "Au personnel qu'on retenait, j'ai dit plusieurs fois qu'il ne leur arriverait rien", explique-t-il devant le tribunal correctionnel de Moulins, où il comparaissait, jeudi 18 décembre, avec Cyril Bastard, compagnon de malheur, et un troisième condamné, Jean-Jacques Cauhoye, pour "arrestation et séquestration illégale de plusieurs personnes". Dans la salle, une trentaine de surveillants forment un bloc compact. De l'autre côté de la travée, deux jeunes filles, les amies des meneurs, serrent leurs mains entre leurs genoux croisés.

Que voulaient-ils, ces deux détenus qui affirment avoir agi dans l'improvisation, bien qu'ils eussent évoqué ensemble, deux jours avant, l'idée d'une action de protestation ? Jean-Jacques Cauhoye, 48 ans, n'a pas de revendication : il s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Le visage mangé par une longue barbe noire, l'homme finit par se faire oublier, tassé entre les deux CRS qui l'encadrent. Mais pour les deux autres, il y a une raison : les très dures conditions de détention dans la centrale. La présidente du tribunal, Joëlle Beugon, refuse cependant de suivre cette piste. "Vos revendications avaient un caractère personnel, dit-elle à André Allaix. Elles n'étaient pas liées aux conditions de détention générales, ni à la fermeture des portes des cellules -imposée depuis février-."

André Allaix, 27 ans, est incarcéré depuis 1995. Sa dernière condamnation - dix ans pour vol avec armes - l'a conduit à Moulins en 2001. Ces derniers temps, le détenu a témoigné d'une difficulté à respecter les règles de la prison. "Depuis neuf ans, j'ai tout fait pour obtenir ce qu'on me faisait croire : les études, les cours, les demandes de formation. J'ai été un des premiers à donner mon ADN. Je corresponds avec une de mes victimes. J'essaie de faire le maximum." Mais le jeune détenu, accessible à la libération conditionnelle depuis juillet, a craqué. Il demande "du dialogue". "Oui", répond-il à Mme Beugon, lui et Cyril Bastard ont voulu faire "une action d'éclat" pour attirer l'attention. Un "appel au secours", préférera leurs avocats, s'appuyant sur l'analyse convergente de surveillants et de codétenus.

"REVENDICATION PERPÉTUELLE"

Cyril Bastard, 28 ans, a craqué lui aussi. Pour "discuter avec les autorités de ce qui se passe à Moulins" : l'intimité absente des parloirs, les courriers qui disparaissent, la menace des équipes d'intervention cagoulées. Cyril Bastard a été condamné à trente ans de réclusion en 1999 pour meurtre et actes de barbarie. Il était libérable en 2024. Son avocat a précisé qu'il avait assassiné l'homme qui avait violé puis tué son petit frère. "J'ai pensé m'asperger d'alcool et m'immoler, explique M. Bastard. Mais j'ai un fils de 6 ans. Et un surveillant m'a dit qu'il valait mieux dix suicidés qu'un évadé. J'ai compris que cela n'aurait servi à rien."

L'avocat des parties civiles souligne les "dégâts collatéraux immenses causés aux familles des surveillants" par la prise d'otages et rejette ces plaintes : "Ce sont des gens qui ont un passé d'agressivité et vivent dans le "tout, tout de suite"." Selon lui, il faut plutôt rendre hommage aux surveillants, qui ont permis une reddition des mutins dans le calme. Des violences dont se sont plaints par la suite les détenus, il ne sera pas question à l'audience : une enquête préliminaire est ouverte par ailleurs. Le procureur, Thierry Pocquet du Haut Jussé, dénonce aussi "une propension à la revendication perpétuelle sans jamais se remettre en cause". Pour lui, "on n'est pas par hasard à Moulins", l'une des "cinq centrales les plus sécurisées de France". M. Allaix a obtenu un parloir séparé et de nombreux rendez-vous avec l'administration : "Qu'est-ce qu'il faut ?" interroge-t-il encore.

Il faut s'interroger "sur la peine d'emprisonnement et son exécution", rétorque le conseil d'André Allaix, pour qui la vocation pédagogique de la prison n'existe plus. André Allaix, "au bout du rouleau", cherche à "rester encore en vie", lance Me Jean-Louis Deschamps, devant son client en larmes. "Il voulait simplement dire que ce n'est pas par un domptage qu'on arrivera à conjuguer des intérêts opposés en prison." "Derrière ces murs, a plaidé pour sa part Me Jean-François Canis, l'avocat de Cyril Bastard, existent beaucoup de malheurs et de difficultés, pour les agents de l'administration pénitentiaire et les hommes qu'on a privés de parole et de droit."

Les trois détenus, en état de récidive légale, risquaient vingt ans de réclusion. Suivant les réquisitions du procureur, le tribunal a condamné M. Cauhoye à six mois, et MM. Allaix et Bastard à quatre ans de prison.

Nathalie Guibert

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20.12.03