Prison requise contre les mutins de Clairvaux Hier, le réquisitoire a souligné l'action préméditée des révoltés de la centrale de Moulins. Par Marc PIVOIS mercredi 24 mars 2004 Ambiance radicalement différente, hier, au tribunal correctionnel de Troyes qui jugeait douze des mutins qui, le 16 avril 2003, avaient pris en otage un gardien et mis le feu aux ateliers de la centrale de Moulins (Allier). Le 9 mars, jour où le procès s'est officiellement ouvert, les détenus avaient fait voler l'audience en éclats, puis quitté, avec leurs avocats, le prétoire. Ils réclamaient une instruction et non une simple enquête avant d'être jugé. Une large partie de la salle, emplie de militants libertaires, leur était acquise. Le président avait dû ordonner cette longue suspension de 15 jours. Hier, les 9/10e de la même salle étaient composés de gardiens de prisons. Et seul un des prévenus comparaissait. Manuel Jouet, 24 ans, pour le bris d'une porte, qu'il reconnaît, et pour avoir, ce qu'il conteste, aidé à faire brûler une armoire dans la cour de sport. Surtout, ce «prévenu atypique», comme dit le procureur, n'a pas le profil des détenus des maisons centrales, réservées aux longues peines criminelles. Il n'était à Clairvaux qu'à cause d'une série d'incidents dans diverses maisons d'arrêt. «Je devais sortir deux mois après. J'ai 24 ans, la prison, ça fait six ans que j'y suis. J'ai envie de tourner la page.» Absents donc, les Brozzoni, Ardoin, Daoudi, Cordelier, Mamouni... Tous accusés d'avoir porté des coups plus ou moins graves aux gardiens et participé à l'incendie qui a complètement ravagé les ateliers du bâtiment B. C'est donc avec Jouet et le directeur de Clairvaux, René Danet, que le président Ferrière a retracé le fil de cette journée. L'ordre. «Ce n'est sûrement pas par hasard que cette mutinerie est survenue», a estimé l'avocat d'Ardoin, un des seuls avocats à être présent. A l'époque, plusieurs évasions avaient alimenté l'actualité. Le garde des Sceaux avait annoncé un retour de la sévérité dans les prisons. Parmi le train de mesures, la fermeture, dans la journée, des cellules, les promenades à cinq maximum et une limitation accrue des communications téléphoniques avec l'extérieur. «On nous a mis en demeure de réinstaurer l'ordre», explique le directeur. Résultat, une pétition circule dans les cellules. La tension monte, jusqu'à «devenir extrême», selon les gardiens. Dégâts. Le matin même, ils font remonter une liste de détenus à surveiller particulièrement. Des bruits de grève aux ateliers circulent. En cours de matinée, Brozzoni sort un cutter qu'il place sous la gorge d'un surveillant. «Je crève le premier bleu qui s'approche», lâche-t-il en faisant ouvrir l'atelier de menuiserie. D'autres détenus se joignent à lui. La mutinerie est partie. Le calme sera ramené en fin de journée, mais les dégâts sont importants : trois à quatre millions d'euros. Brozzoni affirme être le seul responsable : «A mon arrivée en 2001, j'avais prévenu le directeur que je ne resterai tranquille qu'un an avant d'être rapproché de ma famille, a-t-il expliqué aux gendarmes. En mars 2003, j'ai prévenu le directeur qu'il devait faire quelque chose. Le matin des faits, je savais exactement ce que j'allais faire.» Le meneur et les autres. Pour l'accusation, si Brozzoni est bien le meneur, il y a pourtant eu préméditation collective. Le procureur a fustigé l'attitude des prévenus face au tribunal. «Ils ont bien de la chance d'avoir pu être là, d'avoir pu se retirer. Ils ont bien de la chance parce que le règlement autorise les forces de l'ordre à faire usage de leurs armes en cas de mutinerie». Il demande sept ans à l'encontre de Brozzoni, trois et cinq ans pour les autres, et un an contre Jouet, «pour ne pas compromettre sa réinsertion». Le jugement est mis en délibéré au 26 mars.