« Et en plus, ils ne croient pas à la justice de leur pays ! »

Capella, Procureur. A propos des prisonniers.

 

Compte-rendu du procès des prisonniers inculpés

de l’incendie de la prison de Clairvaux

 

Ci-dessous notre compte-rendu (partiel) du procès du 23 mars 2004 au tribunal correctionnel de Troyes des prisonniers inculpés de l’incendie et du saccage de la prison centrale de Clairvaux, ainsi que de diverses violences commises à l’encontre des matons ce jour-là (cf. le texte du principal inculpé Pascal Brozzoni et le récit de la mobilisation sur www.vivelesmutins.propagande.org).

 

Le 23 mars 2004, alors que les syndicats de matons (UFAP et FO) appelaient au niveau régional à une manif, une bonne vingtaine de personnes de Troyes, Dijon et la région parisienne était présente au procès pour soutenir les prisonniers.

La présence de personnes en soutien aux prisonniers lors de l'audience était importante pour tenter de maintenir un rapport de forces installé et éprouvé lors des précédentes audiences du 15 décembre et du 9 mars, qui s’étaient toutes deux soldées par un report. La présence de soutien était d'autant plus nécessaire que 11 des 12 prévenus avaient – conformément à ce qu'ils avaient annoncé le 9 mars – décidé de ne pas se déplacer faute d'une véritable instruction préalable. Finalement, la petite quarantaine de matons n’a pas manifesté, mais a, par contre, pu admirer, en se rendant au tribunal des tags tels que « Prison = Torture » ou « Matons = Porcs » et des affiches d’un rose pimpant annonçant une « fête du porc » avec un dessin très réussi d’un maton… Ils sont vite rentrés dans la salle d'audience pour l'occuper de tout leur poids.

Ainsi les supporters de l'administration pénitentiaire en force ont fait peser sur le procès une ambiance radicalement différente de celle qui avait permis aux prisonniers et à leurs soutiens de s'exprimer face à une justice déjà toute acquise à la cause de ses collaborateurs carcéraux. Le président du tribunal qui, le 9 mars, avait été obligé de laisser libre cours aux déclarations des prisonniers et aux manifestations de leurs soutiens, a le 23 mars repris son rôle de garant de l'ordre avec toute la haine rancunière dont sont capables des serviteurs de l'Etat qui se sentent menacés dans leur fonction. Cela nous a valu plusieurs menaces d'expulsion à la moindre réaction face au caractère unilatéral et calomnieux de la justice, le président du tribunal nous reprochant de porter atteinte à la (sa) « démocratie »...

L’énoncé des expertises psychiatriques (parfois vieilles de plus de dix ans) des 12 prévenus s'en est suivi, où l'on a pu apprendre – sans rire – que les prisonniers inculpés étaient « aptes » à la prison et aux longues peines. Le seul détenu présent, âgé de 24 ans et condamné à une peine de 3 ans (qualifié par l'Administration Pénitentiaire d’« ingérable » et donc incarcéré en centrale) a alors subi un interrogatoire sur sa participation à la mutinerie. Il a tenté d'expliquer la tension qui régnait dans la centrale du fait des provocations des matons (les bottes dans la bouche semblent être une spécialité de la maison), mais aussi des mesures prises par la direction, comme la fermeture des portes en journée, la restriction de l’accès au téléphone, etc. Ce n'est apparemment pas ce que voulait entendre le président du tribunal qui coupait la parole du prisonnier à de nombreuses reprises. Le prévenu a aussi tenté de faire entendre que pendant l'incendie il avait défoncé l'entrée des locaux de sport pour aller chercher de l'eau à un prisonnier qui s'asphyxiait devant des matons immobiles (cette fois).

Ensuite, c’est René Danet (né le 16 mai 1945), l'expérimenté directeur de la centrale de Clairvaux (voir l'affaire de la mort « suspecte » du détenu Mirval – cf. Bernard Cuau, L'affaire Mirval, ou comment le récit aboli le crime, préfaces de Michel Foucault et Pierre Vidal-Naquet, Ed. D'aujourd'hui, 1976) qui a pu longuement exprimer son point de vue avec la complaisance du président du tribunal et du procureur. Pour lui, la fin de l'accès libre aux cabines téléphoniques, la remontée en cellules 5 par 5 et la fermeture des portes des cellules ne sont qu'un retour à l'ordre selon des règlement déjà existants qui ne pouvaient être appliqués depuis la fin des années 70 du fait d'un rapport de forces en faveur des prisonniers. Pour lui il s'agit aujourd'hui d'assurer la sécurité des détenus les plus faibles face au « caïdat » d'une minorité de détenus dangereux (l'idéologie sécuritaire n'a pas de frontières). Pour lui, les prisonniers révoltés ont nui à la majorité des détenus en mettant hors d'usage leurs principaux « moyens d'évasion intellectuelle » : les locaux de sport  et les ateliers de travail (« le travail rend libre » de l'autre coté du mur aussi).

Ensuite, le maton responsable des ateliers de travail est venu pleurer pour une corporation persécutée et traumatisée, empêchée d'accomplir sa mission de remettre ceux qui ont fait une faute dans le droit chemin.

Le syndicat FO a lui demandé 150 euros de dédommagement moral aux 12 prévenus : les fins de mois doivent être difficiles… mais c’est connu, la matonnerie a son honneur dans sa culotte ! Lors de la pause déjeuner, on a pu apprécier le déploiement de force de huit cars de CRS autour du tribunal : alors que seul un prévenu était présent, de qui avaient-ils peur ? Des matons ?

A la reprise, les réquisitoires des parties civiles et du procureur ont « enflammé » la salle. C’est d’abord l'avocat des matons qui s'est lancé dans une longue diatribe contre les prisonniers et plus particulièrement contre Pascal Brozzoni, « celui qui se fait idéologue alors qu’il n’a rien à penser ». Il s’est ensuite attaqué aux soutiens des prisonniers, et en particulier à l’organisation Vive les mutins ! (www.vivelesmutins.propagande.org), coupables de ne pas respecter les matons « garants de l'ordre de l'intérieur donc de la liberté de l'extérieur », véritables héros de cette mutinerie. L’avocat des parties civiles réclamait qu’on « ne donne une tribune à ceux qui n’ont rien à dire ».

Le procureur a pris le relais en niant le caractère de mouvement collectif à l'incendie de la prison et en le faisant passer pour un règlements de comptes de quelques « délinquants dégénérés ». Le visage de plus en plus écarlate, il a alors cité les copieux casiers judiciaires des prévenus pour montrer qu'ils étaient bien « irrécupérables » et que leur absence exprimait un mépris inadmissible de l'institution judiciaire (on se demande bien pourquoi, eux qui ont pourtant déjà pas mal pratiqué la justice de notre pays...). S'indignant du « chantage au suicide » d’un des prisonniers, décidément capricieux, alors que la centrale de Clairvaux n'est même pas touchée pas la surpopulation carcérale ! Mais surtout, le procureur a prononcé des menaces de mort à peine voilées en déclarant à propos des prisonniers : « ils ont bien de la chance d’avoir pu être là, d’avoir pu se retirer. Ils ont bien de la chance parce que le règlement autorise les forces de l’ordre à faire usage de leurs armes en cas de mutinerie ». D’ailleurs, évoquant la mutinerie de février 2003 à Clairvaux, le Procureur explique son choix de n’avoir alors poursuivi aucun prisonnier du fait que les dégâts se sont élevés « à peine à 200 000 euros » et que, surtout, lorsqu’il s’était rendu sur les lieux, les mutins avaient écouté « leur Procureur, la voie de la raison, la voie de la loi », et que tout était rentré dans l’ordre… Elle est belle la voie de la raison !

Il a ensuite requis 7 ans de peine supplémentaire pour Pascal Brozzoni (déjà en taule depuis 17 ans), qui se revendique comme le seul responsable de l'incendie (et coupable d’avoir « emballé tout le monde »), et des peines de 5 à 3 ans pour les autres. Contre le prévenu présent, le procureur a demandé, malgré sa catégorisation de « réinsérable », une peine de 3 ans dont 2 avec sursis.

Les trois avocats de la défense présents ont ensuite souligné les incohérences d'un dossier où il n'y a presque que des témoignages de matons souvent contradictoires et indirects, ainsi que le caractère douteux d'une liste de « détenus particulièrement dangereux » où figurerait (drôle de coïncidence) la plupart des prévenus. Les avocats ont montré que l'administration pénitentiaire réglait ses comptes avec certains prisonniers « difficiles » et voulait leur faire payer non seulement pour l'incendie d'avril (3 à 4 millions d'euros de dommages) mais aussi pour le saccage de février (quand même 200 000 euros de note, quoiqu’en dise le procureur) qui n'avait pas été réprimé à l'époque, faute de preuves. Les avocats de la défense ont également fustigé la double peine que sont le mitard et le Quartier d’Isolement, que les prévenus ont déjà subi après les faits, et qui s’ajoutent aux années requises par le procureur : les prisonniers ont été condamnés avant même d’être jugés…

 

Le verdict a été rendu le 26 mars. Le tribunal rejette la demande de complément d'information. Il retient le chef d'inculpation d'incendie volontaire (et pas tentative d'incendie). Pascal Brozzoni est reconnu coupable de menaces de mort, prise d'otage, violence sur agents, dégradation de biens publics, le tout avec préméditation et prend pour 7 ans supplémentaires (il a donc encore 24 ans à passer en taule...). Pour les autres, les peines vont de 5 ans à 18 mois, deux prévenus sont relaxés. Le prévenu présent à l'audience du 23 mars écope de 18 mois dont 12 avec sursis plus 3 ans de mise à l'épreuve plus obligation d'un suivi psychologique plus obligation de travailler ! FO obtient ses 150 euros (les fins de mois sont dures !) et les quatre matons obtiennent 4 000 euros de la part de tous les détenus reconnus coupables de menaces et violences...

Une demande de pourvoi en appel va être déposée par les avocats des prisonniers dans les prochains jours. L'appel devrait se tenir dans la belle ville de Reims (encore plus belle bientôt n'en doutons pas...). Faisons tourner l'info le plus largement pour qu'il y ait le plus de monde possible à Reims face à leur « justice » et que les sentences ne tombent pas dans le silence de leur bonne conscience...