(Le Matin)
Les détenus se sont révoltés
Mutinerie dans la prison de Béjaïa
De notre bureau de Béjaïa
La maison de redressement de Béjaïa, située
à El Khemis, a été hier le théâtre
d'une mutinerie qui a placé les services de sécurité
en alerte maximale. Cette maison de redressement, plus que centenaire,
est située en plein centre de Béjaïa-ville
et est conçue pour 200 pensionnaires. Mais selon des informations
glanées sur les lieux, ils seraient plus de 400 détenus
de droit commun ou en attente de jugement à s'entasser
à l'intérieur. Les services de sécurité
ont bouclé tout le périmètre de la maison
de redressement, créant ainsi une perturbation monstre
de la circulation routière, à laquelle est venue
s'ajouter la marée de badauds et de curieux venus contempler
le spectacle qui s'offrait à leurs yeux sur les toits de
la maison de redressement.
Tout a commencé, selon certaines personnes avec qui nous
avons pu nous entretenir, par un mot d'ordre appelant à
une désobéissance qui a circulé dès
8 h 30. Les mutins se sont préparés en conséquence.
A 11 h 15, un premier mutin s'est enfui de l'infirmerie et a pu
accéder au toit. Il sera suivi quasi immédiatement
par un deuxième. Ce n'est qu'une heure après que
le gros des insurgés les a rejoints, en arrachant des grillages
et utilisant la technique de la pyramide humaine comme échelle.
A 13 h, ils seront quelque 150 à 200 détenus à
être sur les toits du centre de redressement.
Sous un soleil de plomb, les mutins scandaient des slogans hostiles
au pouvoir et reflétant leur malvie tels que « Aïch
la vie ya l'cavé » ou « Ulac smah ulach »,
« Assa azekka, l'amnistie tella tella ». Ils criaient
leur rage et leur désespoir aux représentants de
la presse, autorisés à franchir le périmètre
de sécurité et à converser avec les mutins.
L'un deux, que l'on nommera par ses initiales
M. A., dira : « On n'a aucun droit. Ni au niveau de la justice
ni à l'intérieur de la maison de redressement. Les
animaux ont plus de droit que nous. » Un autre revendique
son droit à un jugement qu'il attend depuis quatre ans
en détention préventive.
Pour N. G., autre détenu : « Bouteflika nous a bernés
avec sa loi sur la concorde civile. Au lieu de commercialiser
de la drogue pour laquelle je purge 7 ans de prison, j'aurais
mieux fait de rejoindre Hattab pour que je sois aujourd'hui libre
mais riche ! »
Les revendications des mutins vont de la grâce présidentielle
qui devrait avoir, selon eux, un effet immédiat, tandis
que son impact est différé à Béjaïa,
quant à l'amélioration des conditions de détention
et le raccourcissement des délais de détention préventive,
en passant par l'exigence d'une amnistie générale,
au même titre que les terroristes qui ont mis le pays à
feu et à sang, alors qu'eux n'ont commis que des délits
mineurs. A 14 h, le procureur général et un juge
d'instruction ont entamé des négociations avec un
groupe de mutins à partir d'une terrasse grillagée,
les autres groupes n'ayant pas voulu s'y joindre, ne donnant aucun
crédit aux propos des négociateurs.
Les mutins sont en majorité jeunes. Si de leur promontoire
ils lançaient des slogans de révolte, à aucun
moment ils n'ont manifesté de violence ni usé de
casse. Bien au contraire, pour exprimer le caractère pacifique
de leur révolte, ils procédaient à des lâchers
de pigeons à qui ils souhaitaient « bonne liberté
». Toute une symbolique. Pour de nombreux responsables politiques
locaux, les revendications exprimées par les mutins ne
sont, en fait, qu'une des conséquences de la loi sur la
concorde civile, qui expie de leurs péchés des assassins
qui ont pris les armes contre l'Etat et ignore les personnes reconnues
coupables de délits de droit commun. Toutes nos tentatives
de joindre le directeur de la maison de redressement ont été
vaines. Nous y reviendrons.
Samir Mokrane