1971, La révolte d'Attica

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Trente ans déjà, trente longues années se sont écoulées depuis ce matin bruineux du 13 septembre 1971 où les troupes fédérales prirent d’assaut la prison d’Attica (Etat de New York). Quand enfin la brume artificielle des gaz lacrymogènes se dissipa et que les premiers secours furent autorisés à pénétrer dans l’enceinte de la prison, on put dénombrer 43 morts et près de 200 blessés. Ainsi s’acheva la brève expérience politique des insurgés d’Attica. Ce fut l’assassinat de George Jackson, un des leaders des Black Panthers, qui joua le rôle de détonateur dans ce qui demeure la plus importante révolte carcérale du XXème siècle. La révolte d’Attica survint dans un contexte politique très agité : sur le plan intérieur, la contestation faisait rage (mouvements d’émancipation noir, gay, féministe, contre-culture, pacifisme…) ; sur la plan extérieur, les Etats-Unis était embourbés dans la guerre du Vietnam et bombardaient « secrètement » le Cambodge…

Parce qu’ils réussirent, le temps de leur rébellion, à constituer une « Commune » carcérale, ces détenus, ce composé hétéroclite de petits délinquants, d’objecteurs de conscience et de Black Panthers, ébranlèrent l’ensemble du système judiciaire américain. « Nous, prisonniers d’Attica, cherchons à mettre fin à l’injustice dont souffrent tous les prisonniers, quelle que soit leur race, leur confession, leur couleur. La préparation et le contenu de ce document ont été établis grâce aux efforts unifiés de toutes les races et de toutes les catégories sociales de cette prison » (extrait de la déclaration du Comité de Libération d’Attica). Qu’une révolte de « taulards » puisse prendre la forme d’un véritable processus démocratique et susciter auprès de l’opinion publique un soutien croissant, voilà ce qui était proprement intolérable pour le pouvoir ! Dans une scène célèbre d’Un après-midi de chien, un film de Sydney Lumet (1975), on voit la foule rassemblée autour d’une banque assiégée par des policiers prendre parti pour les braqueurs ; elle reprend en cœur le cri lancé par Al Pacino (un des hors-la-loi amateurs) « Attica ! Attica ! ». Ce cri, c’est le rappel d’un massacre d’Etat mais aussi la démonstration que l’illégalisme, le refus actif de la loi, peut prendre la dimension politique d’une contestation de l’ordre établi : dénonciation de lois et de pratiques racistes, exigence de justice sociale, volonté d’auto-organisation, de démocratie effective.

Bienvenue à Disneyland

« Ce qui m’a frappé, peut-être avant tout, à Attica, explique Michel Foucault, c’est l’entrée, cette espèce de forteresse factice dans le style de Disneyland, où on a donné aux miradors des allures de tours médiévales flanquées de mâchicoulis. Et, derrière ce paysage plutôt grotesque qui écrase tout le reste, on découvre qu’Attica est une immense machine. C’est ce côté machine qui est le plus saisissant – ces interminables couloirs bien propres et bien chauffés qui imposent à ceux qui les empruntent des trajectoires bien précises, calculées de toute évidence pour être le plus efficace possible, et en même temps le plus facile à surveiller, le plus direct » (« A propos de la prison d’Attica », Dits et écrits I, Quarto Gallimard). Par-delà le kitsch de son architecture extérieure, le pénitencier fédéral d’Attica apparaît d’abord comme une machine, une belle mécanique, quelque chose de froid, d’hygiénique, de bien organisé ; quelque chose de terriblement efficace comparé aux prisons françaises d’alors (et, en grande partie, d’aujourd’hui), ces lieux vétustes, décrépis et souvent d’une saleté repoussante. L’imposante machinerie d’Attica rassemble en un même espace trois figures spécifiques de l’enfermement : l’usine, le zoo, le camp de concentration.

"Cette espèce de forteresse factice dans le style de Disneyland" (Foucault) : les premiers moments de la révolte.

Les couloirs d’Attica, ces segments de droites qui se coupent et se prolongent selon des trajectoires et des angles optimisés, assurent une circulation fluide et parfaitement régulée entre les quartiers d’hébergement (cellules) et de gigantesques ateliers : métallurgie, fabrication de matelas, confection de chaussures, etc. Le gouverneur de New York, Nelson Rockfeller, le petit-fils du célèbre milliardaire, a fait des prisons de son Etat de véritables camps de travaux forcés. Le salaire moyen d’un détenu tourne autour de 40 cents par jour. Cette surexploitation des prisonniers n’est pas nouvelle, elle s’inscrit dans la tradition des manufactures carcérales qui proliférèrent en Occident tout au long du XIXème siècle. L’introduction du travail dans les prisons obéissait à deux impératifs : il devait être à la fois élément d’équilibre budgétaire - de sorte que l’entretien du détenu coûte le moins chère possible au contribuable - et instrument d’éducation, de correction des détenus.

Mais quelle place, précisément, occupe le travail dans l’histoire pénitentiaire américaine ? Le treizième amendement de la Constitution américaine, rédigé au lendemain de la guerre de sécession (1861-65), n’a pas aboli l’esclavage, il l’a limité aux personnes reconnues coupables d’un crime : « Il n’existera sur le territoire des Etats-Unis ou autre lieu soumis à leur juridiction ni esclavage ni servitude involontaire, sauf pour punir un crime, dont un individu aura été dûment reconnu coupable » (Le goulag américain, Burton-Rose, éd. Esprit frappeur). Cette exception se traduit par exemple, dans un procès de 1871, par la remarque suivante de la Cour suprême de Virginie : « Les détenus sont les esclaves de l’Etat ».

 

Progression des sections d'assaut, équipées de masques à gaz et de réservoirs d'oxygène, dans la brume des gaz lacrymo.

La conjonction d’un passé esclavagiste et d’intérêts privés très puissants (avec cette faculté inouïe à tirer profit de tout) explique, en partie, le développement aux Etats-Unis d’un véritable complexe « carcéro-industriel » et la sur-représentation des noirs (descendants d’esclaves) en son sein. Contrairement à l’Europe, aux Etats-Unis la prison relève bien plus d’un business que d’une administration publique. « Chaque année, l’American Correctional Association, organisme semi-privé fondé en 1870 qui promeut les intérêts du secteur, réunit professionnels et industriels de l’incarcération pour un grand « salon de l’emprisonnement » » (Les prisons de la misère, Wacquant). Lors du salon de 1997, plus de 650 firmes étaient présentes. Parmi les produits proposés on pouvait trouver : des chaises immobilisantes, des enceintes électrifiées à décharge mortelle, des programmes de désintoxication pour toxicos ou de « réarmement moral » pour jeunes délinquants, des cellules démontables, des prisons clés-en-mains...

Zoologie

« L’endroit où les détenus passent entre dix et douze heures par jour, l’endroit où ils se considèrent chez eux est une épouvantable cage à animal d’environ un mètre et demi sur deux, entièrement fermée de barreaux d’un côté. L’endroit où ils sont seuls, où ils dorment et où ils lisent, où ils s’habillent et pourvoient à leurs besoins est une cage pour animal sauvage » (« A propos d’Attica », Dits et écrits, Foucault). Malgré la position d’un œilleton en son centre, la traditionnelle porte d’acier garantit au détenu une certaine intimité dans sa cellule. De simples barreaux par contre n’en permettent aucune, ils laissent filtrer en permanence la rumeur des âmes damnées, les pestilences de la ménagerie et surtout les regards inquisiteurs des geôliers. Plus qu’une succession horizontale de longues tiges de métal, plus qu’une simple grille matérielle, les barreaux constituent une véritable grille de perception : une sorte d’incitation permanente, inscrite à même l’espace carcéral, à percevoir les détenus comme des bêtes fauves. Quand on place quelqu’un dans une cage, ce n’est certainement pas pour le réinsérer ou lui apprendre le respect de la loi, mais bien plutôt pour l’animaliser, lui dénier le statut de personne et les droits s’y attachant (l’un des plus élémentaires étant le droit à l’intimité).

Comme en témoigne le roman d’Edward Bunker, Animal factory, l’exercice d’une violence domesticatrice et punitive exige l’animalisation préalable du détenu. La violence matérielle et symbolique de la mise en cage compromet d’avance toute entreprise de resocialisation. L’hypocrisie de l’éternel discours sur la « réinsertion » du détenu n’est pas tant le fait de la « pénitentiaire » que de la société elle-même : « Vous nous avez confié ces voleurs et ces meurtriers parce que vous les considériez comme des bêtes sauvages ; vous nous avez demandé d’en faire des moutons dociles, de l’autre côté de ces barreaux qui vous protègent ; mais il n’y aucune raison pour que nous, gardiens, représentants de la loi et de l’ordre, instruments de votre morale et de vos préjugés, ne les considérions pas aussi, à votre invitation, comme des bêtes sauvages. Nous sommes comme vous. Nous sommes vous. C’est vous qui nous les avez désignés comme des bêtes sauvages ; à notre tour, nous leur transmettons le message. Et lorsqu’ils l’auront bien appris derrière leurs barreaux, nous vous les renverrons » (« A propos d’Attica », Dits et écrits, Foucault).

« Jails are concentration camps » (« les prisons sont des camps de concentration ») pouvait-on lire sur les banderoles qu’en soutien aux insurgés d’Attica des manifestants brandissaient dans la ville voisine de Rochester. La prison américaine assure vis-à-vis de la population noire une fonction d’élimination massive. Elle n’élimine pas physiquement (du moins pas de manière directe) les Afro-américains mais réalise leur mise à l’écart radicale : c’est un instrument privilégié de ségrégation raciale. Il y a en effet une certaine continuité entre l’esclavage dont étaient victimes les noirs au 19ème siècle et leur internement massif au siècle suivant : « (…) après l’abolition de l’esclavage, le ghetto fait office de prison sociale en ceci qu’il assure l’ostracisation systématique de la communauté afro-américaine tout en permettant l’exploitation de sa force de travail. Depuis la crise du ghetto, symbolisée par la grande vague des révoltes urbaines de la décennie 60, c’est la prison qui fait office à son tour de ghetto » (Les prisons de la misère, Wacquant)

Comment un processus discriminatoire d’une telle ampleur est-il possible dans une société « démocratique », une société qui postule l’égalité de tous les citoyens devant la loi ?! Le système pénal (notamment celui du code pénal et de la jurisprudence qui déterminent quels types d’actes, de comportements, d’individus doivent être sanctionnés et selon quelle forme et quelle force) et le dispositif policier (qui va privilégier par exemple le quadrillage des ghettos, des « quartiers sensibles ») jouent ici un rôle déterminant : l’ensemble du système d’interdictions et les interdits les plus mineurs comme l’abus d’alcool, l’excès de vitesse, la consommation de haschich, ainsi que ce qu’on appelle aujourd’hui les « incivilités », tout cela va servir d’instruments et de prétextes à cette « pratique de concentration radicale » (« A propos d’Attica », Dits et écrits, Foucault).

« Search and destroy »

On ne peut comprendre la révolte d’Attica et sa portée politique sans se référer au contexte de quasi guerre civile dans lequel elle se produisit. « On peut décrire le fonctionnement du système judiciaire américain comme une « mission de localisation et de destruction » (« search and destroy ») de la jeunesse noire » (Les prisons de la misère, Wacquant). Le harcèlement policier voire militaire (en 1965, à Los Angeles : violence de la répression du soulèvement noir du ghetto de Watts) de la jeunesse noire américaine débuta vraiment dans les années 60, au moment de la montée des mouvements d’émancipation noirs.

Les assassinats politiques du pasteur Martin Luther King et de Malcolm X ne doivent pas faire oublier le fait que ce furent les membres du Black Panthers Party qui furent la cible privilégiée de la répression policière. Le cas de Mumia Abu-Jamal, ancienne panthère noire toujours coincée dans le couloir de la mort, témoigne de cet acharnement. Face à la brutalité policière et aux violences racistes, les Panthères Noires se considéraient comme des résistants : leur veste en cuir noire et leur béret faisaient clairement référence à la résistance française. Au niveau de leurs références idéologiques, ils puisaient autant dans le livre rouge de Mao que dans l’existentialisme de Sartre ou Les damnés de la Terre de Frantz Fanon (penseur martiniquais). Dans la pratique, ils mirent en place non seulement des groupes d’autodéfense armée (contre les violences policières) mais aussi toute une politique sociale et culturelle : des « programmes de survie communautaire » et des services gratuits comme les dispensaires, les écoles, les transports vers les prisons etc. Et surtout, ce parti se distinguait des autres organisations noires (parfois très nationalistes et sexistes comme Nation of Islam) par sa volonté d’agir en association avec d’autres groupes progressistes comme les pacifistes (contre la guerre du Vietnam), les mouvements gay et féministes (voir les écrits de la panthère Angela Davis) etc.

Devant le danger de l’émergence d’une vaste coalition de mouvements de gauche radicaux, en 1969, Edgar Hoover, le directeur du FBI, décréta le Black Panthers Party ennemi public numéro un et mis au point une opération de contre-espionnage, baptisée COINTELPRO qui dura dix ans : des dizaines de Panthères furent tuées lors de fusillades provoquées par la police, des centaines de membres et de sympathisants furent emprisonnés. Par la force des choses, les Black Panthers furent donc en première ligne dans les luttes carcérales. « La lutte dans les prisons est devenue un front nouveau de la révolution » (cité par Michelle Perrot in Les ombres de l’histoire) affirmait George Jackson, l’un des leaders des Panthers. Le cas de Jackson est emblématique, condamné à vie en 1961 pour un vol de 70 dollars dans une station d’essence, il se forma en prison, à la lecture de Karl Marx, d’Adam Smith, de Frantz Fanon et d’autres penseurs. Les jeunes qui comme lui n’avaient pu accéder ni à l’éducation ni à l’emploi, ceux qui avaient été forcés à s’auto-éduquer en prison, il les appelait, dans ses écrits, les « intellectuels du lumpenprolétariat » (chômeurs, délinquants, marginaux…).

Les prisons étaient devenues en effet pour les jeunes noirs américains de véritables centres de formation politique. Des livres comme le Manifeste communiste ou le Livre rouge de Mao étaient réécrits à la main dans un langage simplifié et utilisés dans des groupes d’alphabétisation de base. Des journaux, toute une littérature de prison étaient produits par les détenus, on faisait parvenir clandestinement les manuscrits à des éditeurs extérieurs. Le livre même de Jackson, Les Frères de Soledad (Folio, intro de Jean Genet), circulait de main en main dans les prisons américaines où on se l’arrachait. La libération des esprits devait devenir une arme contre l’oppresseur, Jackson mettait toute son énergie à faire en sorte que la mentalité des jeunes paumés noirs se transforme en mentalité de révolutionnaires noirs, en conscience politique. « J'étais révolté. J'étais en prison et je regardais autour de moi pour découvrir quelque chose qui pourrait vraiment faire enrager les matons. J'ai découvert que rien ne les faisait autant enrager que la philosophie ». Le 21 août 1971, prétextant une tentative d’évasion, les « matons » de la prison californienne de Saint Quentin abattirent froidement Georges Jackson. Il était temps de bâillonner ce foyer de dissidence…

« Entendre le grondement de la bataille » (in Surveiller et punir)

La mort de George Jackson suscita dans l’ensemble des prisons américaines un grand vide, une vive émotion, un sentiment de révolte. Alors que cette mort était survenue en Californie, de l’autre côté des Etats-Unis, elle déclencha presque aussitôt une grève de la faim spontanée, suivie par un grand nombre de détenus, dans la prison new-yorkaise d’Attica. Le 9 septembre 1971, les 1500 détenus du block cellulaire D décidèrent d’aller plus loin en organisant une mutinerie : ils prirent en otage 40 surveillants et s’assurèrent rapidement le contrôle général des bâtiments. La situation dans le pénitencier fédéral d’Attica était depuis longtemps explosive. Attica, c’était le dernier cercle de l’enfer carcéral américain : surpeuplement, régime ultra-disciplinaire et punitif, conditions d’hygiène atroces, soins médicaux inexistants etc. La mort de Jackson joua donc le rôle de l’étincelle qui met le feu aux poudres. Ce qui révèle le caractère déterminé, réfléchi et, d’une certaine manière, légitime de la rébellion des détenus de cette prison, c’est bien le ton et le contenu de la déclaration que fit le Comité de Libération d’Attica :

« Nous, prisonniers d’Attica, cherchons à mettre fin à l'injustice dont souffrent tous les prisonniers, quelle que soit leur race, leur confession, leur couleur. La préparation et le contenu de ce document ont été établis grâce aux efforts unifiés de toutes les races et de toutes les catégories sociales de cette prison. Il est établi, et de notoriété publique, que l'administration pénitentiaire de New York a transformé des institutions initialement prévues pour corriger socialement des individus en ces camps de concentration que l'on trouve dans l'Amérique actuelle. Compte tenu du fait que la prison d'Attica est l'une des institutions les plus classiques de cruauté organisée exercée sur les hommes, la liste de revendications qui suit a été adoptée. Nous, les prisonniers d’Attica, nous vous disons à vous les bien-pensants de la société : le système carcéral que vos tribunaux ratifient est la grimace terrifiante du tigre en papier, du pleutre au pouvoir. Manifeste respectueusement présenté à la société à titre de protestation contre les marchands d'esclaves, abjects et corrompus : le gouverneur de l'État de New York, le département pénitentiaire de l'État de New York, l'assemblée législative de l'État de New York, les tribunaux de l'État de New York, les tribunaux des États-Unis, le département des libérations conditionnelles de l'État de New York. Et ceux qui soutiennent ce système d'injustice. Cette liste de revendications va vous être présentée. Nous essayons d'agir selon la voie démocratique. Nous avons le sentiment qu'il n’est pas nécessaire de dramatiser ces demandes. » (extrait de Au pied du mur, éd. L’Insomniaque) Suivent 26 revendications concernant : le droit à l’éducation, la journée de travail de 8 heures, les droits syndicaux, la possibilité de se doucher régulièrement, une nourriture digne de ce nom, l’accès aux soins…

Un mouvement de soutien populaire s’organisa à l’extérieur. Le Comité de Solidarité avec les Prisonniers, un groupe fondé l’année précédente par les Youth Against War And Fascism (Jeunes Contre la Guerre et le Fascisme), rassembla de l’argent et loua des cars pour que les familles de détenus puissent se rendre à Attica. Le Comité de Solidarité fit en sorte également que les détenus puissent bénéficier d’une aide juridique en faisant appel à des avocats et juristes. Des membres du mouvement des droits civiques, des Black Panthers et d’autres groupes contestataires se rassemblèrent autour de la prison pour mener diverses actions : manifestations de soutien aux rebelles, sensibilisation de l’opinion publique, interpellations des hommes politiques etc. Les négociations devaient débuter le 13 septembre. Mais le jour J l’Etat envoya près de mille hommes, des fédéraux, des gardes nationaux, des sections d’assaut, qui par une opération coup de poing d’une extrême violence (armes automatiques, lance-grenade, hélico…) réussirent à reprendre la prison en moins d’une heure. L’assaut fit 43 morts, dont dix otages, et 200 blessés. Les autorités pénitentiaires prétendirent que les détenus avaient égorgé les dix otages. Mais les autopsies des médecins légistes révélèrent que les otages n’étaient pas morts la gorge tranchée mais des suites des blessures infligées par les tirs des forces de l’ordre ; ce qui fut confirmé par la commission d’enquête McKay de l’Etat de New York…

Malgré sa répression sanglante et la tentative de la criminaliser (en lui imputant la mort des dix otages), la révolte d’Attica provoqua une véritable onde de choc aussi bien dans les prisons américaines (vague de révoltes) que dans les prisons françaises. En France, grâce à l’action du Groupement d’Information sur les Prisons (GIP fondé par Foucault, Vidal-Naquet et Domenach), le gouvernement autorise en 1971 l’entrée dans les prisons de la presse quotidienne et des radios : « Donc, en juillet 1971, on permet aux détenus de lire les journaux. En septembre 1971, ils apprennent la révolte d’Attica ; ils s’aperçoivent que les problèmes qui sont les leurs et dont ils se rendent compte qu’ils sont de nature politique, et pour lesquels ils sont soutenus de l’extérieur, que ces problèmes existent dans le monde entier. (…) Cela a conduit à une forme de révolte totalement différente. En décembre 1971, deux mois après Clairvaux, deux mois et demi après Attica, quatre mois après l’autorisation des journaux, un an après la fondation du GIP, une révolte  a éclaté à Toul, comme on n’en avait plus connue depuis le XIXème siècle : une prison entière se révolte, les prisonniers montent sur les toits, ils jettent des tracts, déploient des banderoles, font des appels au mégaphone et expliquent ce qu’ils veulent » (« Prisons et révoltes dans les prisons », Dits et écrits I, Quarto Gallimard, Foucault). Certes, l’ « Animal factory » américaine a réussi à éliminer physiquement George Jackson, mais son esprit et celui des Panthères Noires lui ont longtemps résisté…

Dénètem

• Les photos proviennent de deux journaux américains de la ville voisine d'Attica : Rochester. Il s'agit du Democrat and Chronicle et du Times-Union, qui remporta le Pulitzer pour sa couverture des événements d'Attica. Ces journaux n'existent plus.

• Quelques films autour d’Attica et du contexte politique de la révolte :

Black panthers, d’Agnès Varda (1968)

Black panthers de Van Peebles (1997)

Attica de Marvin J. Chomsky

Punishment Park de Peter Watkins, 1970

Un après-midi de chien de Sydney Lumet, 1975

•  On peut aussi lire :

A l’affût (histoire du Parti des Panthères noires et de Huey Newton) de Bobby Seale, Gallimard, 1972.

Free the Panthers (Historique du Black Panther Party), Front social, Triple oppression, n°13 bis. Envoyer 30 F à Front social BP 216 – 92 108 Boulogne Cedex.